vendredi, 6 avril 2007

L'Europe vue par la presse - Article 1


La Déclaration de Berlin: renaissance de l'UE ou avènement d'un leader européen?

Par Christine Matthey

La Déclaration de Berlin s'inscrit dans la volonté de relance du projet constitutionnel par la présidence allemande. Cet acte politique à la réception mitigée contraste avec son instigatrice qui s'impose en leader dans une Europe en quête d'harmonie. On ne sait dès lors que retenir de ces noces d'or communautaires: l'illusion d'un proche retour à la collaboration entre les Etats membres ou la prestation remarquée d'Angela Merkel…

"L'unification européenne […] a […] permis de surmonter les antagonismes." Cette constatation tirée de la Déclaration de Berlin - signée ce 25 mars 2007 à l'occasion du 50ème anniversaire de l'Union européenne - semble bien optimiste face à la crise qui plane sur l'Europe. En effet, depuis le double non français et néerlandais au projet de Constitution, l'Union semble n'avancer que par inertie. C'est pourquoi la présidence allemande a décidé d'insuffler une nouvelle dynamique dans la machine communautaire à l'occasion de cette commémoration.

C'est dans cette optique qu'Angela Merkel a réalisé un méticuleux travail de persuasion auprès des chefs de gouvernement les plus eurosceptiques. Elle est ainsi parvenue à mettre - plus ou moins - d'accord les 27 de l'UE sur un texte se voulant porteur d'un idéal commun. La Déclaration de Berlin rappelle aux Européens les raisons d'être de l'Union ainsi que ses acquis et aspirations. Mais elle fixe avant tout un délai pour la réalisation d'un nouveau traité ou projet de constitution avant les élections parlementaires de 2009.

Courte et consensuelle, cette Déclaration a connu un écho plutôt mitigé dans la presse. Accusée de n'être qu'une liste de banalités[1], d'éviter les "sujets qui fâchent"[2] - comme l'élargissement (et plus particulièrement la question turque), la mention de l'héritage judéo-chrétien (ardemment désirée par la Pologne mais rejetée par les pays plus laïcs), la forme et la substance du futur accord de 2009 (La Pologne, les Pays-Bas ou encore le Royaume-Uni ne désirant pas voir naître un projet copiant celui de 2004), ou encore une mention maladroite de l'euro comme succès de l'Union (qui pourrait vexer le Royaume-Uni) - ou également critiquée pour ses termes trop vagues[3], sa portée symbolique en souffre.

Notons que certains chefs de gouvernement n'ont pas attendu pour désavouer publiquement l'engagement pris à Berlin. C'est le cas du Président polonais, Lech Kaczynski, qui dénonce le délai de 2009 comme étant peu réaliste[4]. Vaclav Klaus, Président de la République tchèque, critique quant à lui l'absence de débat démocratique dans la réalisation de cette Déclaration - dont il n'aurait reçu le texte que 24h avant son adoption[5] - mettant ainsi en cause la méthode des discussions bilatérales adoptée par la Chancelière allemande. Celle-ci compte cependant bien suivre ce même procédé pour préparer le Conseil de juin sur la Constitution[6].

La Déclaration de Berlin ne fait donc pas l'unanimité. Un rapide survol de la presse internationale souligne la déception qui semble accueillir cet acte politique. Si tous les quotidiens ne prennent pas nécessairement position contre elle - Le Temps par exemple se contente de glisser sur son contenu sans en signaler la faiblesse[7] - des critiques apparaissent dans bon nombre de médias (Agence Europe, Le Monde[8], entre autres), et tout particulièrement dans la presse anglophone. The Times[9] ou encore le Herald Tribune[10] s'arrêtent sur les questions soigneusement évitées par la Déclaration, à savoir toutes celles qui divisent aujourd'hui les Etats membres. Une partie de la presse allemande signale également cette faiblesse. Le Tagesspiegel par exemple, présente la Déclaration de Berlin comme un bien maigre moyen de pression[11]. El País quant à lui, ne soulève que la question des racines chrétiennes, commentant au passage la forte réaction du Pape Benoît XVI pour qui cette absence de référence rend l'UE coupable d'apostasie. Mais le quotidien espagnol se concentre plutôt sur la satisfaction de voir mentionnée la lutte contre le terrorisme et l'immigration illégale dans la Déclaration, trahissant ainsi les préoccupations actuelles de son pays[12].

La critique la plus acerbe nous vient de Grande-Bretagne. L'article "Don't mention the Constitution" de The Economist[13] dénonce une rhétorique vide de sens. Il reprend de nombreux points avancés comme valeurs positives de l'UE pour les démonter un à un, mettant à jour la médiocre efficacité des beaux discours communautaires.

Il est intéressant de relever une constante dans la sémantique journalistique: plusieurs articles mentionnent la résurrection de la Constitution, alors que la Déclaration, elle, opte pour des termes plus généraux, promettant d' "asseoir […] des bases communes rénovées" d'ici à 2009. "Les dirigeants se mettent d'accord sur une date pour ramener le traité à la vie"[14] titre The Times, tandis que El País lance "La Déclaration de Berlin ressuscite le projet constitutionnel"[15]. Le Nordbayerische Kurier relate quant à lui que "avec la Déclaration de Berlin, elle [A. Merkel] a donné un nouveau souffle à la Constitution [...] que l'on croyait morte"[16]. Cette systématique démontre que la presse n'est pas dupe et sait pertinemment quelle réalité se cache sous les termes consensuels du discours officiel, à savoir la reprise du projet de Constitution de 2004 comme base de négociation.

Malgré le flou qui semble auréoler la relance politique du dimanche 25 mars, ce 50ème anniversaire des Communautés européennes marque l'avènement d'un nouveau visage. Que cela soit dans les gros titres ou les photos - où on la voit en tailleur orange se détacher de ses 26 émules soit par un regard, soit par sa position en tête de fil - Angela Merkel "crève l'écran". Elle apparaît comme le leader des Etats membres qui soutiennent le projet de relance illustré par la Déclaration berlinoise. Angela Merkel incarne alors cette Allemagne, traditionnellement ouverte à la concession dans le cadre communautaire. Bien décidée à faire avancer les choses, elle se dit elle-même prête à renoncer à la mention de l'héritage judéo-chrétien[17] pour permettre à l'Union de se doter d'une solide base commune.

La Chancelière allemande ne s'y trompe pas: pour donner à la commémoration du 50ème anniversaire et la signature de la Déclaration une certaine profondeur, la ville de Berlin semble toute trouvée. La capitale allemande symbolise en effet tout le bien fondé de vouloir relancer cette Union en crise. Devant le musée d'Histoire de Berlin (bombardé pendant la Seconde Guerre Mondiale) et à quelques centaines de mètres du Mur qui divisa si longtemps l'Europe, Angela Merkel illustre elle-même parfaitement la nécessité de cet idéal communautaire qui nous a préservés de la guerre pendant plus d'un demi-siècle. La Chancelière allemande le souligne: elle a grandi à Berlin-Est, séparée d'une partie de sa famille par le Rideau de fer. La force symbolique de sa propre destinée résonne dans le discours personnel de la Présidente. Mêlant émois et humour, celui-ci a marqué les esprits. Le fait que cette allocution ait été bien plus citée dans les médias que la propre Déclaration de Berlin apparaît comme symptomatique de leur réception respective.

Un détour par la presse nous confirme la nature prédominante du rôle attribué à la Chancelière allemande durant cette journée de commémoration. "Aujourd'hui, l'Union européenne paraît n'avoir plus qu'un visage, celui d'une femme, et qu'un seul nom, Angela Merkel" avance Le Temps[18]. Ce quotidien salue également la volonté et les efforts de la Chancelière concernant le travail de persuasion des semaines précédentes afin d'"obtenir" la date-butoir de 2009. Le même terme "obtenir" revient dans Le Monde, qui souligne ainsi également le fervent engagement de l'actuelle Présidente de l'Union[19].

El País titre l'un de ses articles "Merkel inaugure son leadership dans une Europe en crise"[20], mettant en balance l'unité possible derrière un nouveau meneur et le chaos qui semble régner sur l'ensemble européen. "Angela Merkel a mis à profit la célébration en grande pompe […] pour se poser en chef d'orchestre de la relance institutionnelle[…]": dans Le Monde aussi on insiste sur la position centrale que prend la Chancelière dans l'aventure communautaire[21].

La presse allemande n'est pas en reste. Chacun y va de son superlatif. Deux articles du Die Zeit titrent respectivement "Courageuse Chancelière" et "La Chancelière européenne"[22]. Le Rheinische Post la présente comme "médiateur et moteur" alors que Die Welt va jusqu'à la nommer "Mrs. Europa"[23]. Le General Anzeiger résume l'opinion générale en affirmant qu'elle a "compensé en partie le flou évident de la Déclaration berlinoise sur l'avenir de l'UE par un discours politique fort"[24].

Il n'y a guère que The Economist pour critiquer la position acquise par Angela Merkel dans l'opinion publique. La revue britannique trouve l'origine de son succès dans ce que le journaliste désigne comme son "Frauenbonus", qui aurait fait d'elle la plus populaire des chanceliers d'après-guerre[25]. Il rappelle également que "dans un sens, Mme Merkel a été chanceuse" puisque le hasard du calendrier (50ème anniversaire de l'UE, présidence allemande du G8) offre justement à l'Allemagne un rôle central dans les relations internationales de cette année 2007[26]. Mais ce triomphe n'est qu'apparent, puisque, au niveau de la politique nationale, Angela Merkel se voit paralysée par la coalition et la structure fédérale allemande[27].

Toujours est-il que ce bémol dans l'enthousiasme pro-merkelien n'entache guère l'image générale qui ressort des médias internationaux. Il devient dès lors évident que la presse européenne occidentale et continentale se fait le faire-valoir de la Présidente allemande, tandis qu'elle opte pour une position relativement discrète sur le contenu de la Déclaration de Berlin. Et ce au contraire de la presse anglophone, et principalement britannique, qui ne cache pas son désaccord avec le contenu du texte berlinois adopté le 25 mars. Angela Merkel sort donc grande gagnante de cette revue de presse.

Reste à savoir si cette popularité croissante de la Chancelière suffira à mettre tous les intervenants d'accord dans le nouveau projet pour 2009. Les réactions des présidents polonais et tchèques laissent présager de nombreuses difficultés dans les négociations. Il s'agit dès lors pour Angela Merkel de réunir ses troupes afin de marginaliser les sceptiques, en espérant de la part de ses derniers un ralliement à l'opinion de la majorité. Le doute subsiste cependant quant à la quantité des Etats membres sur lesquels elle pourra compter. En effet, si l'Italie et l'Espagne lui sont pour l'instant acquises, le Royaume-Uni risque fort d'être un obstacle de taille dans les discussions. Gordon Brown, probable futur Premier Ministre, est bien moins europhile que son compatriote Tony Blair. Il a déjà clairement laissé entendre qu'il ne pourrait signer un texte devant être ratifié par référendum[28].

Le même brouillard plane sur la future présidence française. Si Chirac lui-même a rappelé le rôle essentiel de l'axe franco-allemand dans la construction européenne[29], cette collaboration pourrait être mise à mal par l'arrivée d'un nouveau chef d'Etat moins conciliant quant aux questions communautaires. Le court délai fixé pour les négociations ne jouera pas non plus en faveur de la Chancelière, étant donné que le successeur de Chirac devra dans un premier temps asseoir son gouvernement et optera certainement pour la prudence face à une population française réticente au projet de Constitution. On peut donc imaginer que c'est avec regret qu'Angela Merkel a vu partir Jacques Chirac, dont c'était la dernière participation à un acte officiel de l'Union européenne.

Les appuis politiques de la Chancelière restent donc encore incertains. L'avenir nous dira si l'Europe de l'origine (celle des 6 de 1957) saura trouver la cohésion nécessaire pour suivre le nouveau leader allemand durant son mandat à la Présidence tournante de l'Union ou si Angela Merkel devra marcher contre la France.

Le bilan des événements du dimanche 25 mars reste celui d'un renouveau européen. Mais pas forcément celui auquel on s'attendait. En effet, plus qu'une relance politique, l'Union a assisté à la reprise en main de son avenir par une personnalité. Et si l'on critique le manque d'audace de la Déclaration de Berlin, personne ne reprochera à Angela Merkel de manquer d'ambitions pour l'Europe. Elle semble s'être imposée définitivement comme le nouveau leader de l'UE. Pour la première fois depuis le mythe grec, l'Europe a retrouvé un visage féminin. Les europhiles y verront peut-être le symbole prometteur d'un nouveau départ…



[1] Aude Gensbittel, "50ème anniversaire du Traité de Rome", Deutsche Welle, www2.dw-world.de, le 26/03/07

[2] Cf. entre autres es articles suivants: "Don't mention the Constitution", sur Economist.com, 27/03/07; "At 50, EU faces a midlife crisis", Herald Tribune, 26/03/07; "A dead end", The Times, 26/03/07.

[3] Ferdinando Riccardi, "Au-delà de l'information", in Agence Europe, 27/03/07

[4] Andreu Missé, "Los Veintisiete se comprometen a sacar a la UE de su parálisis política antes de dos años", El País, 26/03/07. Yves Petignat, ("Angela Merkel, moteur de l'Europe", Le Temps, 26/03/07) retient lui le terme d'"irréaliste" et rappelle que le Président polonais imagine plutôt une adoption pour 2011.

[5] Yves Petignat,, "Angela Merkel, moteur de l'Europe", in Le Temps, 26/03/07. M. Beunderman, dans "Merkel vows to continue confidential EU constitution strategy", sur euobserver.com, 25/03/07, annonce que les capitales ont reçu la Déclaration deux jours avant son adoption.

[6] H.B. "EU Constitution", in Agence Europe, 26/03/07

[7] Yves Petignat,, "Angela Merkel, moteur de l'Europe", in Le Temps, 26/03/07

[8] Ferdinando Riccardi, "Au-delà de l'information", in Agence Europe, 27/03/07. C. Calla et P. Ricard, "Les Vingt-Sept veulent relancer l'Union d'ici à 2009", in Le Monde, 27/03/07.

[9] "A dead end", in The Times, 26/03/07

[10] M. Landler "At 50, EU faces a midlife crisis", in Herald Tribune, 26/03/07

[11] "schwaches Druckmittel". Cf. "Die Europäische Kanzlerin" Die Zeit online, zeus.zeit.de, le 26/03/07

[12] Andreu Missé, "Los Veintisiete se comprometen a sacar a la UE de su parálisis política antes de dos años", El País, 26/03/07

[13] Sur Economist.com, le 27/03/07

[14] "Leaders agree on a date to raise treaty from the dead", The Times, 26/03/07

[15] "La Declaración de Berlín resucita el proyecto constitucional". El País, 26/03/07

[16] "Der schon tot geglaubten Verfassung, [...] hat sie [A. Merkel] mit der Berliner Erklärung neues Leben eingehaucht." Cf. "Die Europäische Kanzlerin" Die Zeit online, zeus.zeit.de, le 26/03/07

[17] Andreu Missé, "Los Veintisiete se comprometen a sacar a la UE de su parálisis política antes de dos años", El País, 26/03/07

[18] Yves Petignat,, "Angela Merkel, moteur de l'Europe", in Le Temps, 26/03/07

[19] C. Calla et P. Ricard, "Les Vingt-Sept veulent relancer l'Union d'ici à 2009", in Le Monde, 27/03/07

[20] A. Missé, "Merkel estrena su liderazgo en una Europa en crisis", in El País, 26/03/07

[21] C. Calla et P. Ricard, "Les Vingt-Sept veulent relancer l'Union d'ici à 2009", in Le Monde, 27/03/07

[22] P. Pinzler, "Mutige Kanzlerin" et "Die europäische Kanzlerin", in Die Zeit on-line, zeus.zeit.de, 26/03/07

[23] Cf. "Die europäische Kanzlerin", in Die Zeit on-line, zeus.zeit.de, 26/03/07

[24] "die erkennebare Verwaschenheit der Berliner EU-Zukunfterklärung durch einen starken politischen Redeauftritt teilweise kompensiert." Cf. Ibid

[25] "Unifinished Homework", sur Economist.com, le 22/03/07

[26] "In one sense, Ms Merkel has been lucky". Ibid

[27] "Yet in the domestic policy she is hamstrung by an unwieldy coalition and Germany's federal structure." Ibid

[28] G. Parker, B. Benoît et H. Williamson, "Merkel lays out tight Europe treaty timetable", in Financial Times, sur www.ft.com, 26/03/07

[29] Yves Petignat,, "Angela Merkel, moteur de l'Europe", in Le Temps, 26/03/

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