dimanche, 8 avril 2007

L'Europe vue par la presse - Article 2

Indépendance du Kosovo: l'Union européenne assumera-t-elle ses responsabilités d'acteur régional?

Alexandre Perren, 3 avril 2007


L'Union européenne s'est déclarée en faveur du plan Ahtisaari qui préconise une indépendance sous surveillance de la province du Sud de la Serbie.

M. Solana a appelé les Etats membres à surmonter leurs divisions sur cette épineuse question et à assumer la responsabilité régionale de l'Union européenne pour la stabilité du Kosovo.


Après des années de stagnation et l'échec récent des négociations entres les autorités serbes et le gouvernement provisoire du Kosovo, la communauté internationale semble finalement s'être décidée à trancher le nœud gordien du futur statut du Kosovo. Le 26 mars dernier, le diplomate finlandais et envoyé spécial de l'ONU pour le Kosovo M. Ahtisaari a présenté son rapport final au Conseil de Sécurité des Nations Unies, rapport dans lequel il recommande une indépendance sous supervision internationale pour la province majoritairement albanaise du Sud de la Serbie. Le rapport recommande notamment à l'ONU d'accorder au Kosovo un drapeau, une armée, une constitution ainsi que le droit d'adhérer à des organisations internationales telles que l'ONU et l'Union européenne. Selon les termes de M. Athisaari, "l'indépendance est la seule option pour assurer la stabilité politique et la viabilité économique" du Kosovo. Selon le diplomate finlandais, l'indépendance est rendue nécessaire par la haine entre les communautés serbe et albanaise semble avoir définitivement anéanti tout espoir de cohabitation pacifique et de réconciliation.

Un pas décisif

Le rapport Ahtisaari constitue un pas décisif: jusqu'alors, le terme même d'indépendance semblait considéré comme tabou par la communauté internationale. Tout au plus les diplomates concédaient-ils en public qu'une certaine forme d'autonomie élargie semblait à moyen terme inéluctable. Les réactions à l'annonce officielle du plan Ahtisaari ne se sont pas faites attendre. Le Premier ministre serbe Kostunica et le Président Tadic ont vigoureusement dénoncé ce rapport, considérant que l'indépendance du Kosovo serait une violation pure et simple du droit international qui garantit le droit à l'intégrité territoriale des Etats. La Russie a également déclaré qu'elle opposerait son veto à toute décision du Conseil de Sécurité qui serait contraire aux intérêts de son principal allié dans les Balkans. Le sous-secrétaire d'Etat américain Richard Burns a quant à lui affirmé le plein soutien de son pays au plan Ahtisaari.

De manière inattendue, l'Union européenne s'est elle aussi prononcée en faveur de l'indépendance du Kosovo. Si l'on se rappelle que tout récemment encore la Ministre des Affaires Etrangères suisse, Mme Calmy-Rey, s'était faite reprocher par Bruxelles ses prises de position un peu trop marquées sur ce sujet, il y a effectivement de quoi s'étonner. On peut également s'étonner du faible écho que cette prise de position de certains organes de l'Union européenne a rencontré dans les médias. Car elle est significative à deux égards au moins. D'abord parce que les intérêts de l'Union européenne en matière de politique étrangère semblent coïncider avec ceux des Etats-Unis pour la première fois depuis la guerre en Irak et les tensions transatlantiques de 2003. Mais elle est également significative en ce sens qu'elle illustre la volonté de l'Union européenne de parler d'une seule voix en matière de politique étrangère et d'assumer ses responsabilités pour la stabilité de la région des Balkans.

Le dépôt du rapport Ahtisaari et son soutien par l'Union européenne ont fait l'objet d'une couverture médiatique relativement modeste. Un certain nombre de quotidiens majeurs se sont contentés de mentionner le dépôt du rapport Ahtisaari, tout en explicitant brièvement son contenu. D'autres ont par contre insisté sur le clivage qui se dessinait entre d'une part les Etats-Unis et l'Union européenne et d'autre part la Serbie et la Russie (voir notamment les articles du Monde et du Financial Times à ce sujet). A l'instar par exemple de l'Economist ou du International Herald Tribune, peu ont insisté sur le défi que représentait l'indépendance du Kosovo pour l'Union européenne, et encore moins sur le changement de position radical de cette dernière. Peu de médias ont fondamentalement remis en question la volonté d'accorder l'indépendance.

Si de nombreux journaux, toutes tendances politiques confondues, ont donc mentionné cet événement, peu ont tenté une réflexion approfondie sur l'importance et les conséquences possibles du soutien de Bruxelles à l'indépendance. En particulier, deux aspects du soutien de l'Union européenne à l'indépendance du Kosovo n'ont pas été analysés aussi profondément qu'ils le mériteraient. D'une part, comment expliquer ce changement de position surprenant de la part de l'Union européenne, qui jusqu'alors s'était contentée d'un certain mutisme et même de scepticisme par rapport à la question du statut futur du Kosovo, et qui soudain semble briser un tabou en soutenant explicitement une indépendance sous supervision internationale, avec tous les risques que cela comporte? D'autre part, il faut également s'interroger sur la signification même de l'unité de l'Union européenne dans cette affaire. Parle-t-elle d'une seule voix? La position de l'Union européenne s'est manifestée tout d'abord par une déclaration de la présidence allemande du Conseil, approuvant les conclusions du rapport Ahtisaari et souhaitant que le Conseil de Sécurité en fasse de même lors de sa prochaine session. Le Haut Représentant pour la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, M. Solana, a quant à lui appelé les Etats européens à oublier leur divergences d'opinion sur cette épineuse question, sans toutefois se prononcer explicitement en faveur de l'indépendance. Du côté de la Commission, le commissaire à l'élargissement, M. Rehn, a déclaré que le compromis présenté au Conseil de Sécurité lui semblait réaliste, sans toutefois se prononcer en faveur d'une indépendance ou d'une souveraineté supervisée. Enfin, 319 membres du Parlement européen on voté jeudi 29 mars en faveur d'une "indépendance supervisée" pour le Kosovo. Mais les déclarations de la présidence, d'un commissaire ou du Parlement peuvent-elles à elles seules engager l'Union européenne?

L'UE, entre union et division

Malgré tout, les divisions entre Etats membres subsistent, et elles sont de taille. Si certains Etats, comme la France ou le Royaume-Uni, ont clairement affirmé leur soutien au rapport Ahtisaari, des voix se sont élevées dans plusieurs autres Etats pour mettre en garde contre les risques d'une décision hâtive et pour encourager les parties à entamer un nouveau cycle de négociations.

Ces oppositions proviennent principalement de l'Espagne, de la Grèce, de la Roumanie, de la Slovaquie et de Chypre. Cette division se retrouve au sein du Parlement européen: les 268 députés qui ont voté contre une "indépendance supervisée" proviennent en effet presque tous de ces pays. Plusieurs de ces pays, notamment l'Espagne et Chypre, craignent que l'indépendance du Kosovo ne constitue un précédent et n'encourage par la suite les velléités séparatistes de certaines de leurs minorités nationales. Allant plus loin dans cette voie, le Parlement de la République de Slovaquie, qui par ailleurs siège actuellement au Conseil de Sécurité, a adopté une résolution s'opposant à l'indépendance du Kosovo. Lors d'une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères des pays de l'Union les 30 et 31 mars à Brêmes, la Slovaquie, la Roumanie et la Grèce ont réitéré leur opposition au plan Ahtisaari. Il sera donc intéressant d'observer dans les jours à venir si ces pays suivront les recommandations de MM. Rehn et Solana et sauront surmonter leurs divergences. C'est en tout cas ce que la plupart d'entre eux ont affirmé: malgré des divergences d'intérêts nationaux, l'unité européenne aurait cette fois la priorité..

Si ces dissensions donnent un aperçu des difficultés de mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, il faut néanmoins les relativiser. Elles ne sont en rien comparables avec la ligne de fracture qui séparait l'Allemagne et la France du Royaume-Uni et de l'Espagne lors de la guerre d'Irak de 2003. Le fait que la position américaine coïncide avec celle de la majorité des pays de l'Union européenne n'y est sans doute pas étranger.

Un défi pour Bruxelles

Quelle que soit l'opinion que l'on partage à propos du statut du Kosovo, on peut tout au moins se réjouir d'une prise de position de l'Union européenne sur cette question, qui montre qu'une volonté d'action commune existe en matière de sécurité internationale. Il est prévu que le Conseil de Sécurité débatte du rapport Ahtisaari lors de sa session du mois d'avril. Si l'indépendance sous supervision devait être accordée au Kosovo, cela constituerait à n'en pas douter un défi majeur pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne. La mission civile et militaire qu'il s'agira alors de mettre en place sera la plus importante jamais lancée. Outre les 13'000 soldats de l'OTAN qui resteront déployés sur place et dont la grande majorité provient de pays membre de l'Union européenne, il est prévu que l'Union européenne prenne le relais de la MINUK (Mission Intérimaire des Nations Unies au Kosovo) et envoie plus de 1'500 personnes civiles, principalement des officiers de police et des juristes. De plus, un représentant spécial de Bruxelles aura un droit de veto sur certaines décisions du gouvernement de Pristina.

Si elle veut s'affirmer comme un acteur international crédible, l'Union européenne n'aura donc pas le droit à l'erreur. Il lui faudra faire preuve de beaucoup d'habileté pour assurer le succès de cette mission tout en ménageant ses relations avec la Serbie et son grand allié russe. A plus court terme, Bruxelles devra faire preuve de finesse diplomatique pour contrer la menace de veto russe qui plane sur toute décision du Conseil de Sécurité.

En cas d'indépendance, il s'agira pour l'Union européenne, mais également pour la communauté internationale tout entière, de préserver le caractère multiethnique du Kosovo et de le placer sur la voie de la prospérité économique et de la stabilité politique. Cette tâche sera rendue encore plus ardue par le refroidissement des relations entre Bruxelles et Belgrade depuis la rupture des négociations d'adhésion en 2006 suite à l'incapacité des autorités serbes d'arrêter le criminel de guerre Radko Mladic. Dans ce contexte, la relance d'une perspective d'adhésion constituerait à n'en pas douter un facteur d'adoucissement de la position serbe par rapport au statut du Kosovo. C'est là un atout clé de l'Union européenne, qu'il s'agira d'utiliser à bon escient, car si l'Union ne veut ou ne peut pas mettre en œuvre la politique du bâton, il faudra au moins qu'elle ait recours à celle de la carotte.

Mais n'oublions pas que si le Conseil de Sécurité devait refuser d'accorder l'indépendance, les défis à relever n'en seraient pas moins conséquents, car il s'agirait alors d'éviter que ce refus ne cristallise le mécontentement latent de la population albanaise et que les extrémistes ne plongent à nouveau le pays dans le chaos en s'attaquant aux enclaves serbes et aux fonctionnaires internationaux comme ce fut le cas lors des émeutes de mars 2004.

Ainsi que l'ont rappelé aussi bien le Premier Ministre du Kosovo M. Ceku que le Président Serbe M. Tadic, les attentes vis-à-vis de l'Union européenne sont grandes et il serait dommageable pour tous que celle-ci ne parvienne pas à une position commune sur la question du Kosovo. Et ce d'autant plus que du côté Serbe tout le monde ne fait pas preuve d'autant de modération que le Président Tadic. Ainsi, la Présidente du Centre de Coordination pour le Kosovo, Mme Raskovic-Ivic, a-t-elle déclaré qu'accepter l'indépendance reviendrait à approuver la violation de l'intégrité territoriale d'un Etat reconnu internationalement et à ignorer les crimes de guerre commis par les Albanais du Kosovo. Le bouillant Premier Ministre, M. Kostunica, a lui violemment dénoncé un non-respect des principes du droit international et souhaité que le plan Ahtisaari soit purement et simplement refusé par le Conseil de Sécurité. Il a également regretté que les Etats-Unis, l'Union européenne et l'OTAN avalisent l'amputation arbitraire de 15% du territoire de la Serbie. Ces propos agressifs à l'encontre du plan Ahtisaari et de l'UE ont étrangement été passés sous silence par la majorité des médias des pays de l'Union européenne

Espérons donc que Bruxelles saura faire preuve le moment venu de suffisamment de volonté pour surmonter ses divisions internes, assumer ses responsabilités et faire oublier au moins en partie son incapacité de réaction lors des crises yougoslaves des années 1990. Son expérience acquise depuis lors devrait lui permettre de relever ce défi.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil